Hello mes afroféminines, ou pas

« On est une famille, on se dit tout non ? »
Voilà comment Aïssa Maïga a commencé son propos à la dernière cérémonie des césars. Mais c’est quoi une famille ? « Ensemble de personnes formé par le père, la mère et les enfants  » ou « ensemble de personnes liées par un lien de parenté ou une alliance » selon le Larousse. Ça c’était pour poser le décor. Si vous avez déjà vu la scène du film « Mais qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu » lors de laquelle la plus jeune fille va présenter son fiancé noir à ses parents, vous aurez une idée de ce qui s’est passé à la dernière cérémonie des césars.

Il ne s’agit pas de faire l’aumône mais de faire justice

Il y a eu tellement de réactions après la cérémonie… Impossible de passer à côté. Mon récent passage au cinéma pour voir le documentaire de Blaise Mendjiwa intitulé (Le monde racisé du cinéma français) et la diffusion de celui de Rokhaya Diallo ce soir (Où sont les noirs ) m’ont boulversé. Comme moi, beaucoup ont déjà pointé du doigt le manque criard de représentativité de certaines populations dans le cinéma ou les médias en général donc on ne reviendra pas dessus ici. Ce dont parle Aïssa Maïga et tous les acteurs du cinéma qui interviennent dans ces documentaires n’est, en définitive, pas nouveau. Il ne s’agit pas de quémander quoi que ce soit comme on a parfois pu le lire sur les réseaux sociaux. Il s’agit plutôt de pointer du doigt l’injustice et probablement une forme d’hypocrisie. justiceEst-ce normal qu’un média sensé refléter de la société ne soit le miroir que d’une partie de la population ? Le fait que de nombreux comédiens noirs, asiatiques, maghrébins ne se voient proposés /attribués de façon systématique des rôles stéréotypés de femme de ménage, racaille, comique de service, sans papier pose évidemment problème puisqu’on leur refuse la possibilité de couvrir la palette de rôle que la vie quotidienne nous offre. Chef d’entreprise, architecte, médecin sont également du domaine du possible.  Si mon propos peut paraître subjectif, jetez un oeil à la carrière de Firmine Richard qui est dans le métier depuis 1989 environ. Elle est apparu dans de nombreux films à succès mais toujours dans des seconds rôles (8 femmes par exemple dans lequel elle est la femme de ménage). Ou plus généralement, pensez au nombre de films dans lesquels les noirs campent des rôles comiques. Il a déjà tes yeux, Ma première étoile, Chocolat. Le nombre de films dans lesquels les maghrébins sont dans des rôles de »racailles », de voyous…  Et pourtant, pas si loin de chez nous, Idriss Elba joue le rôle de  Luther un inspecteur de police de talent mais aussi personnage complexe. Pourquoi pas plus d’avocats d’origine indienne à la télé, plus de chirurgiens maghrébins, plus d’asiatiques écrivains etc à la télé. Dieu sait qu’on peut en trouver dans la vraie vie. Pourquoi le cinéma serait-il si réticent à les montrer, à les promouvoir alors même que la société est en crise d’identité?

La répétition est la mère des sciences

Si le « vivre ensemble » est un art, cela n’aura jamais été aussi vraie. « Imaginez seulement dans ce pays une télévision qui vous transmettrait exclusivement des images…  » Je ne vais pas citer les propos de Luc Saint-Eloy à la 25 ème nuit des césars. Je vous laisse cliquer sur l’hyper lien précédent. Si on en est encore à devoir prendre la parole pour dire des choses qui ont été dites 17 ans plus tôt, c’est que les choses n’ont pas bougé ou trop peu. Les constats du CSA ne suffisent clairement pas s’ils ne sont pas suivis de mesures. On est en 2020 et on voit encore arriver sur le marché des documentaires comme celui de Blaise Mendjiwa intitulé « Le monde racisé du cinéma français » dont j’ai parlé récemment dans mon article: « Entre cinéma et restauration ». Il est rempli de témoignages, d’interview de personnes du métier, noires ou pas d’ailleurs. Oui, a bien fait du cinéma un monde à part, celui de l’entre-soi et qui de facto exclut d’autres. Rien de mieux que d’entendre les concernés en parler. Dans le documentaire de Blaise Mendjiwa, on vous parle de rôle de « noir », comme si, être ce qu’on est pouvait s’apparenter à un jeu, un déguisement. Vous y entendrez parler de rôles pour lesquels il faut, je cite : « marcher comme un noir « … Qu’est-ce que cela signifie marcher comme un noir ? Le même constat est fait dans le documentaire de Rokhaya Diallo. Oncle Phil et sa famille nous ont fait rêvé, mais souvenons – nous que ça ne s’est pas fait sans douleur. L’histoire des USA parle d’elle même.  On retrouve la notion d’égalité dans notre devise. Oui, l’égalité y est et c’est super. Encore faut-il l’appliquer à tous les domaines de nos vies.  Au fait c’est quoi l’égalité ? Est-ce ignorer nos différences ou les accepter et les célébrer comme égales en dignité ? Peut-être devrions-nous réfléchir au sens de ce mot. Un chroniqueur que je ne citerai pas disait il y a quelques jours à la télévision, que c’était raciste de la part d’Aïssa Maïga d’avoir compté les noirs à la soirée des oscars. Peut-être que le racisme se trouve dans le refus de considérer le ressenti des minorités par rapport à la place qui leur est faite dans ces milieux (ou d’autres d’ailleurs) ? Peut-être que le fait qu’il n’y ait que si peu de diversité dans ces soirées ou pire, parmi les récompensés met en lumière l’injustice dénoncée ? Est- ce qu’on souhaite voir émerger des médias parallèles fait par des minorités et pour elles-mêmes ? On est bien parti pour…

Deux poids deux mesures

Assez ironiquement, Spike Lee, réalisateur afro-américain engagé, est le premier homme noir à être nommé président du festival de Cannes de 2020. Spike Lee, c’est le père de films engagés comme Malcom X, Jungle Fever, films qui traitent des questions identitaires, sociales et politiques des noirs américains. Je ne peux pas m’empêcher de me demander si un homme ou une femme noire avec une telle filmographie aurait été préssenti pour présider le festival de Cannes. Quand on voit le malaise généré par le discours d’Aïssa Maïga qui est arrivée en parlant de lien familial, je ne peux que douter du fait qu’un jour prochain elle se voit proposer de présider ce type de cérémonie. Et qu’on ne nous parle pas de reconnaissance, de grâce, parce qu’elle est française. Mais en quoi les prises de positions de Spike Lee que j’apprécie, cela dit en passant, seraient-elles différentes de celles de Rokhaya Diallo ou Aïssa Maïga en France ? Ce qu’il revendique n’est rien d’autre qu’un traitement égalitaire qui leur est refusé? Parce qu’il est américain, son engagement  serait plus acceptable, plus légitime? Will Smith et Martin Lawrence sont venus à Paris il y a peu pour faire la promotion de Bad Boys 3 parce que la saga suscite toujours autant d’engouement mais aussi de recette (près de 60 millions de dollars). Ce qui prouve que les émotions générées au cinéma n’ont pas de couleur. Citez-moi un seul film policier français dans lequel 2 hommes ou femmes issus de la diversité sont dans des rôles principaux, positifs ou héroïques et en tête d’affiche ? On admirerait les afro-américains dans leur lutte aux USA mais on ignorerait celles qui se déroulent sur notre propre sol ? C’est à tomber à la renverse quand même n’est-ce pas? Il y a quelques temps, Jacob Desvarieux, membre du groupe Kassav (internationalement connu, je précise) faisait remarquer l’absence de couleurs parmi les artistes nominés aux victoires de la musique. Et il n’est pas le seul à faire ce constat. Quelques commentaires suite au discours d’ Aïssa Maïga sur les réseaux prétendaient qu’elle avait vécu un moment de sollitude. Si c’était le cas, ça n’était que physique parce qu’elle était effectivement seule sur seine. Mais, dans la vraie vie, ce n’est pas le cas. Non seulement nous étions nombreux derrière nos écrans à parfaitement comprendre de quoi elle parlait, mais en plus, nous n’avions pas toujours la mélanine en commun. Et heureusement !

ob_cc1318_ob-2107a5-merci-grenoble-occasion-meubAïssa Maïga

 

Afrofémininement vôtre !

Sandgidemad